Romain Gary

« C’est Jean-François Revel, je crois, qui fit cette remarque : « Lorsqu’on réunira un jour toutes les préfaces des catalogues des expositions de peinture, on découvrira ainsi une des plus grandes littératures comiques de tous les temps. » C’est donc avec la plus grande antipathie, la plus grande méfiance, et une véritable répulsion que je me risque à parler ici de la peinture de Jan Meyer. Je le fais uniquement parce que sa peinture, au sens chimique du mot - et je ne parle ici ni de forme, ni de composition, ni de sujet - est de celles qui relèvent de la création la plus pure, comme celle qui a élaboré la matière organique de la nature. J’ai toujours l’impression que les éléments qui entrent dans la réalisation de ses œuvres ont été découverts par lui au cours d’une exploration au fond de quelque carrière secrète où il a puisé à pleines mains des laves nouvelles, extrêmement satisfaisantes pour toute sensibilité qui ne s’est pas encore entièrement émoussée.

Lire la suite

Pierre Granville

LA NUIT PARFOIS LE JOUR CHEZ JAN MEIJER

 

Il n’est question de trancher si l’Histoire se répète ou non. C’est plutôt question de dosage e molécules en plus ou moins. Suite aux novateurs, les épigynes de talent ne savent pas toujours sur quel pied danser, tiraillés entre les grandes ombres les précédents. De tout temps : un habile Sébastien Bourdon ne sait à quel saint se vouer et un Chassériau charmeur, avec la grâce languide qu’il tire par défi de sa propre laideur, est à hue et à dia entre Ingres et Delacroix, entre l’exigence du dessin et la sonorité rêveuse de la couleur.

 

Mais pourquoi ce propos ? Parce que, de nos jours, l’Histoire se répète et ne se répète pas. Du moins le « situation » du Hollandais. Jan Meijer, établi en France depuis 1960, malgré ses escapades, mérite l’analyse : on l’a vu jadis, pris entre le feu du Cobra expressionniste et la rigueur princière de Stijl, suite à Mondrian. Puis son acclimatation en France paraît lui faire prendre un autre tournant : en parcourant son exposition aujourd’hui, le regard perçoit qu’il fut sensible et perméable à la grande manière de Staël.

Lire la suite

Hans Jaffé

Parmi les peintres néerlandais travaillant à Paris ou dans les alentours, Jan Meyer occupe une place à part. Il n’appartient pas au groupe des peintres qui ont continué la tradition de Cobra, de ce subjectivisme déchainé et triomphant, ni à̀ cet autre groupe qui, par l’assemblage ou par le contrepoint des matériaux divers tend à réaliser une nouvelle objectivité. Depuis le début de sa carrière, Jan Meyer a tenu le milieu entre ces deux pôles ; à cet égard, il fait penser à un danseur de corde ou un homme qui marche sur les toits : avec une démarche résolue il avance, tout en faisant son propre chemin.

Sa peinture est restée complètement peinture - et à ce point elle diffère des nouveaux « objecteurs » - mais elle n’est pas, tout de même, « action painting » ; la pâte de ses toiles est épaisse et dense, mais elle n’est pas jetée sur la surface avec frénésie dionysiaque, au contraire, elle est labourée comme les champs ou les vignes, d’un travail sagace et précis. Le peintre ne se fie donc pas à la spontanéité seule, il fait entrer dans son travail toute la réflexion, toute la patience d’une longue maitrise, comme un maitre d’escrime compose ses ripostes longuement d’avance et les exécute infailliblement le moment donné.

La peinture de Jan Meyer est donc un art prémédité, un vin bien mûri, et non pas un fruit frais - et ce fait est doublement remarquable puisque Jan Meyer, l’homme, est un type spontané, dégagé, et sans complexes.

Lire la suite

Sadi de Gorter

 

Rien qu’à Amsterdam, l’annuaire du téléphone énumère une centaine de J. Mejer. Les initiales du prénom étant seules mentionnées, je ne puis affirmer avec certitude qu’on se trouve en présence d’une centaine de Jan Meyer, mais il est évident que les Pays-Bas comptent d’innombrables habitants de ce nom. Et pourtant quand ces trois syllabes sont prononcées dans quelque aréopage de Hollandais cultivés, on interroge aussitôt : ah ! Com- ment va-t-il ? est-ce qu’il habite toujours Dieudonné ? a quand sa prochaine exposition ?

C’est qu’il n’y a qu’un seul Jan Meyer qui échappe à la confusion homonymique et c’est celui dont nous parlons ici. Il est né il y a près de soixante ans à Assen, capitale des vielles terres de le Drenthe formée d’un plateau ondoyant où des fouilles ont mis à jour à peu près les seuls témoignages de la préhistoire des Pays-Bas. Doit-on à̀ cette circonstance l’intérêt de Jan pour l’archéologie et les antiquités ou le doit-on à̀ ce don inné chez lui de discerner le vrai du faux, l’authenticité de l’imitation, l’inspiration du calcul ?

A la vérité, Jan Meyer apparaît soudain dans la vie artistique avec ses bagages de valeurs plastiques bouclés. Certes, il n’est pas comme par magie dessinateur et peintre, mais il semble être entré dans la vie avec un calendrier pictural. D’instinct, il connaît son pro- gramme, il sait où il va alors que ses tableaux s’apparentent parfois à̀ une onde sensuelle spontanée parcourant une chair vivante. Un jet de peinture qu’il étale au couteau et cette lave s’écoule en lissant l’espace ouvert devant lui. Une clairvoyance de la finalité, c’est certain. Chez Jan Meyer, le hasard a des bases profondes, un rythme étudié minutieusement, des lois strictes...

Lire la suite